1998 : La raison

 

En réalité, la théorie qui place la raison à la source de la connaissance est, en Grèce, une théorie parmi d’autres. Certains penseurs, au contraire, valorisaient les sens comme on l’a vu avec Protagoras. D’autre part, il convient de rappeler la complexité de la raison des Grecs, sur laquelle d’ailleurs Senghor attire l’attention. Ajoutons qu’excepté les sophistes, ces intellectuels plutôt « hérétiques », et Démocrite, le théoricien de l’atomisme, tous les penseurs grecs divinisent la nature, le divin étant tout ce qui n’est pas humain, tout ce qui échappe au pouvoir de l’homme : donc les conditions atmosphériques, l’air, les vents, le soleil, l’eau. D’une manière générale, les Grecs n’ont pas opposé la foi et la raison. 

Par ailleurs, la tragédie grecque a connu son développement prodigieux au 5e siècle avant Jésus-Christ parce qu’il fallait procurer aux Athéniens de l’émotion : on allait voir les pièces de tragédies pour s’émouvoir au destin tragique des héros, ces surhommes accablés par un destin implacable et au crépuscule de leur glorieuse vie ! 
Pour en revenir aux Nègres, c’est une raison pratique qu’ils ont développée, juste ce qu’il fallait de raison pour diriger et organiser leur société humaine. Senghor a observé leur « mépris de la raison et des spéculations morales », en précisant qu’ils ne méprisent pas, en revanche, la morale pratique. Cheikh Anta DIOP, dans Civilisation ou Barbarie, limite à peu près à la même portée la raison nègre. 

Senghor, tout révolté qu’il est contre la superbe occidentale, n’en semble pas moins avoir admis une critique que les Blancs ont dû susurrer maintes fois : les Nègres sont plus riches de « dons » (il s’agit des dons naturels) que d’"œuvres (entendez que de réalisations scientifiques et matérielles). 
Senghor se met en effet à nomenclaturer les valeurs des Nègres : celles-là que l’Homme Noir détient face au monde dominant qui, en début de siècle, réclamait justement autre chose que la seule raison. Bergson, dans les Deux sources de la morale et de la Religion, réclame un « supplément d’âme ». Les valeurs nègres ont nom la foi, l’humanité, l’intuition, l’amour, l’ouverture à l’autre et au Cosmos, que l’on rapprochera de « 1’accueil universel » de Gide, la sensualité, la puissance d’émotion. Le monde occidental a besoin de ces valeurs humaines qu’il a perdues. Et voilà que ce sont les Noirs qui peuvent les lui apporter : les Noirs ont donc bien un rôle historique à jouer au sein de l’humanité. Un rôle même messianique. Ainsi, dans « ce que l’Homme noir apporte », on lit : "Le service nègre aura été de contribuer, avec d’autres peuples, à refaire l’unité de l’Homme et du Monde, à lier la chair à l’esprit, l’homme à son semblable, le caillou à Dieu.

                     Madame Marne SOW DIOUF, 
                    Communication au Colloque senghorien de Dakar, 10-11 Octobre 1996.

 

Après avoir résumé ce texte de 480 mots au tiers de sa longueur initiale, vous discuterez cette affirmation de l’auteur : « Le monde occidental a besoin de ces valeurs humaines qu’il a perdues. Et voilà que ce sont les Noirs qui peuvent les lui apporter. »

 

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