1999 : Les films, ces nouveaux poèmes plastiques...

 

« Ces nouveaux poèmes plastiques nous transportent en trois secondes des bords boisés d’un fleuve que traversent des éléphants dans un long sillage d’écume, au cœur de montagnes farouches où de lointains cavaliers se poursuivent dans la fumée des coups de feu, au glauque demi-jour des eaux sous-marines où des poissons circulent dans des grottes de corail... 
Et des paysages charmants, ou tragiques, ou prodigieux, entrent dans la symphonie mouvante pour accroître son sens humain ou bien y introduire à la manière d’un ciel d’orage chez Delacroix ou d’une mer d’argent chez Véronèse , son sens surnaturel. 
Le cinéma incorpore le temps à l’espace. Mieux, le temps, par lui, devient réellement une dimension de l’espace. Nous pourrons voir mille ans après qu’elle aura jailli de la route sous le galop d’un cheval, une poussière se lever, se déployer, se dissiper, la fumée d’une cigarette se condenser puis rentrer dans l’éther, et cela dans un cadre d’espace que nous aurons sous les yeux. Nous pourrons comprendre pourquoi les habitants d’une étoile lointaine, s’ils peuvent voir sur terre avec de puissants télescopes sont réellement les contemporains de Jésus, puisqu’ils assistent, au moment où j’écris ces lignes, à sa mise en croix dont ils prennent peut-être, des épreuves photographiques même cinématographiques, la lumière qui nous éclaire mettant dix-neuf ou vingt parvenir jusqu’à eux. Nous pouvons imaginer même, et cela risque de modifier sensiblement encore notre idée de la durée, que nous verrons un jour ce film, soit qu’on nous l’expédie dans un projectile quelconque soit qu’un système de projection interplanétaire le renvoie sur nos écrans. Ceci, qui n’est pas scientifiquement impossible, nous rendrait contemporains d’événements qui se seraient passés, dix ou cent siècles avant nous, dans l’espace même ou nous vivons... 
Vous connaissez ces dessins animés, encore bien secs, bien maigres, bien raides qu’on projette sur l’écran et qui sont, si vous le voulez bien, aux formes que j’imagine ce que des graffiti tracés par un enfant à la craie sur un tableau noir sont aux fresques de Tintoret ou aux toiles de Rembrandt . Supposez en effet trois ou quatre générations attelées au problème d’animer en profondeur, non par les surfaces et par les lignes mais par les épaisseurs et les volumes ces images, de modeler, par les valeurs et les demi- teintes, une série de mouvements successifs qu’un long entraînement ferait entrer peu à peu dans l’habitude et jusque dans le réflexe au point que l’artiste parvienne a s’en servir à son gré, pour le drame ou l’idylle, ou la comédie, ou l’épopée dans la lumière, l’ombre, la forêt, la ville, le désert. Supposez à un artiste ainsi armé le cœur de Delacroix, la puissance de réalisation de Rubens , la passion de Goya et la force de Michel-Ange : il vous jettera sur l’écran une tragédie cinéplastique tout entière sortie de lui, une sorte de symphonie visuelle aussi riche, aussi complexe, ouvrant par sa précipitation dans le temps, des perspectives d’infini et d’absolu la fois exaltantes par leur mystère et plus émouvantes par leur réalité sensible que les symphonies sonores du plus grand des musiciens. » 

 

                                                       Elie FAURE. Fonction du cinéma. Pauvert, 1953.

 

1) Résumez ce texte au tiers de sa longueur. 

 

2) commentez la réflexion de l’auteur : « Le cinéma incorpore le temps à l’espace. »

 

Notes : 


1. Delacroix : peintre « romantique » français 

2. Véronèse : peintre vénitien du 16e siècle 

3. Tintoret : peintre vénitien du 16e siècle 

4. Rembrandt : peintre hollandais du 17e siècle qui a réagi contre l’influence italienne 

5. Rubens : peintre flamand fin 16e siècle, début 17e siècle 

6. Goya : peintre espagnol du 19e siècle 

7. Michel -Ange : l’un des plus grands artistes de la Renaissance italienne

 

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