2000 : La leçon de l'écrivain africain

 

Mon intention ici n’est pas de revenir à la problématique devenue classique de la revalorisation des langues africaines conçue et perçue comme l’unique condition de notre libération réelle. Cette problématique se justifie bien entendu dans la conjoncture actuelle où l’Afrique semble s’engager résolument clans la recherche des voies et moyens pour assurer sa survie dans ce monde où la tendance dominante est à l’uniformisation et au nivellement, c’est-à-dire au mimétisme à partir des modèles culturels euro-américains. 

Cependant je me demande si la problématique des langues africaines telle qu’elle est posée aujourd’hui n’entraîne pas l’occultation d’une réalité beaucoup plus complexe qu’on ne pense et qui comporte une part de refus, sans doute inconscient, de la part des élites africaines, de couper le cordon ombilical qui les relie à l’Occident, en déployant un discours sécurisant et pseudo critique à propos de ces langues. Car bien souvent la revendication de l’indépendance linguistique exprimée par les élites africaines ne va guère au-delà du terrain académique pour se transmuer en une force agissante transformatrice, des mentalités. Pour ma part dans le contexte socio-politique et économique actuel, tout en continuant de réfléchir sur les conditions et modalités de faire jouer aux langues africaines leur véritable rôle dans les secteurs de la vie moderne, le plus urgent serait de déplacer le débat ou plutôt de le situer ailleurs, c’est-à-dire au niveau du langage en tant que système symbolique qui permet la nomination, l’appropriation et la représentation du monde. C’est à ce niveau, et à ce niveau seulement, que pourraient se traduire quelle que soit la langue utilisée, notre rapport à une spatialité et une temporalité données qui sont les nôtres et que nous assumerions, ou alors notre degré d’aliénation dans la mesure où apparaîtrait une quelconque rupture avec notre espace-temps originel. 

La réponse à cette question revient certes aux élites africaines, mais singulièrement aux dirigeants politiques. Car comment libérer notre discours de normes occidentales érigées en principes absolus et universels ? Comment amener ce discours à signifier, en leur totalité et en leur diversité, notre condition historique et notre environnement naturel et mythique, alors que les appareils idéologiques (enseignement, mass média, structures administratives et institutions culturelles, etc.) qui le sécrètent et le portent, et dont nous assurons la permanence sur le continent africain, continuent de perpétuer -parce que hérités de la colonisation - l’emprise de l’Occident sur nous ? 

C’est dans ce contexte précis hérissé d’interrogations que j’entends - pour conclure cette brève réflexion - situer le rapport de l’écrivain africain des vingt dernières années à la langue de création, en l’occurrence le français. Tout conflit au plan linguistique et partant des valeurs se trouve chez lui comme définitivement résorbé. En effet se refusant à toute vision « néo-humboldtienne » de la langue, et considérant le français dans son aspect instrumental, l’écrivain africain le prend à bras-le-corps pour non seulement l’immerger dans les profondeurs abyssales de sa culture mais aussi l’amener à rendre avec le maximum d’intensité les expressions, les rythmes, les structures, les images, les odeurs de son paysage originel. Les recherches stylistiques intégrant le matériau de l’Oralité en vue d’un grand approfondissement du rapport de l’écrivain au réel, et le constant désir d’affirmer le lieu d’où il parle, marquent profondément en Afrique le paysage poétique. Le travail d’appropriation, dans les œuvres de Yambo Ouologuem, d’Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi, de Tchicaya U Tam’Si, d’Henri Lopes ou de Modibo Sounkalo Keïta pour ne citer que ceux-là, montre à l’évidence que la langue- quelle qu’elle soit - n’est pas seulement ce par quoi s’organise et s’anime le monde mais encore- lorsqu’elle est pleinement assumée- le lieu d’enracinement, de réconciliation de l’homme avec lui-même, et d’affirmation de toute culture. Telle est la grande leçon que donne l’écrivain africain - et qu’il nous faut retenir- en faisant du français, langue de l’Ancien Maître, le lieu d’assomption de sa propre identité.

                     Mukala Kadima NZUJI - Revue du Salon du Livre. Paris (Mars 1989)

 

1) - Vous résumerez ce texte au quart de la longueur. 

 

2) - Commentez et discutez : « Que la langue quelle qu’elle soit n’est pas seulement ce par quoi s’organise et s’anime le monde mais encore lorsqu’elle est pleinement assumée- le lieu d’enracinement, de réconciliation de l’homme avec lui-même, et d’affirmation de toute culture. »

 

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